Qu’il s’agisse des problèmes les plus triviaux comme « la chambre est trop petite! » ou des questions plus profondes comme « est-ce à moi de le punir ? », les familles recomposées doivent régulièrement définir des rôles et des limites. Pour éviter un trop plein de ressentiments ou des conflits généralisés, voici onze suggestions à mettre en œuvre ensemble.
Ce travail a été réalisé en collaboration avec Chantal Van Cutsem, pédopsychiatre et thérapeute familiale, Claire Garbar, psychologue et psychanalyste, et Sylvie Cadolle, philosophe, sociologue et professeur de sociologie de l’éducation.
On dit souvent qu’on ne choisit pas sa famille, mais on peut dire la même chose, voire plus, pour une famille recomposée. Bien que souvent romantiques à la télévision, la réalité de ces familles modernes est loin d’être toujours idyllique. La jalousie, les difficultés à trouver sa place, les interrogations sur l’autorité sont autant de défis à relever quotidiennement. En évitant de donner des solutions toutes prêtes qui pourraient s’avérer impossibles ou dangereuses, nous avons cherché à comprendre les différents défis psychologiques et à fournir des repères pour mieux comprendre le rôle de chacun. L’objectif est de rendre la vie commune plus sereine.
L’incorporation du nouveau partenaire dans la famille
Les enfants ont besoin de temps pour accepter d’établir un lien avec un adulte, en particulier quand il s’agit du partenaire de leur parent. Avant d’inviter cette personne à vivre pleinement à la maison, il est nécessaire d’en discuter longuement avec l’enfant : que pense-t-il ? Quels sont ses préjugés ? ses inquiétudes ? Même s’il ne doit pas décider de la vie privée de ses parents, il est directement affecté par les changements familiaux. Ses sentiments (peur, rejet) doivent être pris en compte. La première rencontre avec le nouveau partenaire ne doit jamais être le résultat d’un « hasard organisé ».
Cette rencontre doit être préparée et officielle, car elle clôturera les discussions et établira un nouveau cadre pour l’enfant. Il va sans dire que le choix des circonstances doit mettre tout le monde à l’aise (repas, sortie…), en commençant par le futur beau-parent, car c’est lui qui influencera le désir de l’enfant de s’investir dans cette nouvelle relation. Il sera présenté comme « l’ami(e) de maman (ou de papa) »; l’enfant ne doit pas se sentir obligé de l’accepter immédiatement comme beau-parent. Il convient de ne pas le questionner sur sa première impression. Une question comme « Tu le (la) trouves sympa ? » n’est pas innocente. Il faut laisser à l’enfant l’espace et le temps pour établir une relation individuelle avec son futur beau-parent.
La position du beau-parent
Pour son développement, l’enfant doit réaliser que son beau-parent n’est pas un ami ou un égal, mais un adulte sur lequel il peut compter, et à qui, en retour, il doit respect et obéissance. Le beau-parent a un rôle éducatif et a, au moins, le devoir d’autorité et de protection, sans pour autant remplacer le père ou la mère. Dans cette relation, qui dépendra de ce que le beau-parent est prêt à investir et de ce que l’enfant a besoin de trouver en lui, le rôle du parent présent est crucial. Il doit aider son partenaire à trouver sa place dans la famille, en lui donnant des responsabilités et en lui permettant de prendre des initiatives en matière de vie familiale.
Quel nom utiliser
Évidemment, les termes « papa » ou « maman » ne sont pas appropriés, surtout si le véritable « papa » (ou la vraie « maman ») est impliqué dans l’éducation de l’enfant. Se faire appeler par son prénom est la pratique la plus courante. Si cela facilite la relation au début, cette pratique est ambivalente, car elle ne permet pas de définir explicitement les rôles de chacun et ne définit pas clairement les limites entre l’enfant et l’adulte. Il est donc crucial que le beau-parent ne joue pas le rôle de « copain » avec l’enfant et que sa position d’adulte soit clairement définie par des responsabilités précises.
Il faut parfois accepter le surnom choisi par l’enfant. Il a l’avantage de souligner à la fois le statut particulier de cet adulte et d’être porteur d’une charge émotionnelle qui crée un lien.
Être un parent équitable
Doit-on traiter son enfant et celui de son partenaire de la même façon ? Tout le monde est confronté à cette question. Bien qu’il soit nécessaire de ne favoriser personne, on ne peut nier qu’il existe une différence entre la relation avec son propre enfant et celle avec l’enfant de son partenaire. Accepter cette réalité, c’est se donner les moyens d’être un parent équitable. Comme dans une famille « traditionnelle », il s’agit d’accepter que chaque enfant est considéré différemment. Il se crée toujours une relation unique entre deux personnes. Il est essentiel d’être attentif aux inquiétudes potentielles de l’enfant du partenaire et d’en discuter avec lui pour le rassurer. Souvent, il pense qu’il ne « mérite » pas d’être aimé de la même façon par les adultes avec qui il vit.
À l’inverse, il faut faire attention à ne pas être moins exigeant avec l’enfant du partenaire sous prétexte que l’on « n’est pas son père ni sa mère ». Aucun enfant n’en tire avantage : l’un se sentira négligé, l’autre « harcelé ». Des rencontres en tête à tête avec son propre enfant permettent de lui montrer que sa position n’est pas menacée et de préserver une intimité.
Les divergences en matière d’éducation
Les règles relatives à la vie commune doivent être clairement énoncées et respectées par tous, même si les enfants ne partagent le même toit que le week-end. Rien n’est pire que des parents qui se contredisent devant les enfants. Ceux-ci le ressentent et exploitent les failles.
Si des désaccords – inévitables – surviennent, il faut savoir « laisser passer » sur le moment, avant d’en discuter à tête reposée pour se mettre d’accord sur la règle à suivre. Enfin, dans les familles recomposées plus que dans les autres, il est nécessaire d’inventer des rites – fêtes, discussions, sorties –, car ils permettent de créer collectivement une culture familiale.
Gestion des conflits
L’enfant n’est pas toujours prêt à admettre l’autorité de son beau-parent. D’où la nécessité pour le parent de le légitimer : « Oui, tu dois faire tes devoirs le soir, Paul a raison », « Non, tu ne dois pas sortir après telle heure, je suis d’accord avec Marie », etc. Si le conflit persiste, plutôt que de s’acharner, il vaut mieux en référer d’abord au père ou à la mère, qui interviendra, puis « prendre du recul » pendant un certain temps. Peut-être que ni le beau-parent ni l’enfant ne se sentent prêts à entrer pleinement dans une relation « parentale ».
Si l’enfant adopte une attitude de refus systématique envers le beau-parent, chercher à gagner sa sympathie ne fera qu’aggraver les choses. Même si ce n’est pas simple tous les jours, il faut laisser l’enfant vivre et exprimer son agressivité, et lui dire qu’on comprend que la situation n’est pas facile pour lui. Mais poser des limites est indispensable : il est hors de question, par exemple, d’accepter des comportements violents. Le beau-parent devra éviter de se plaindre à son conjoint, ce qui renforcerait l’hostilité de l’enfant et placerait le parent en position d’arbitre.
Enfin, bien qu’il faille toujours être deux pour rappeler la « loi », faire systématiquement bloc contre l’enfant n’est pas une bonne solution. Il doit sentir qu’il garde un lien privilégié avec son père ou sa mère.
Les relations entre le nouveau et l’ancien partenaire
Il est important d’informer son ex de l’arrivée du nouveau partenaire dans la famille : il a le droit de savoir auprès de qui son enfant va grandir. Et il sera moins tenté de jouer les « espions » en se servant de l’enfant. Mais il est inutile de prétendre s’aimer, car cela peut parfois dérouter l’enfant. Si « tout le monde » s’entend si bien, pourquoi ne pas vivre sous le même toit ? Cela ne signifie pas que les conflits sont souhaitables, d’autant plus que l’enfant devient rapidement l’objet central de ceux-ci ; des jours de garde que l’on se dispute, des projets de vacances que l’on annule… Autant de règlements de comptes dont il est la première victime
Les dénigrements mutuels entre l’ex-partenaire et le nouveau conjoint peuvent être extrêmement déstabilisants pour l’enfant. En dévalorisant ces adultes qui participent à son éducation et son développement, une partie de l’enfant lui-même est dévalorisée.
Coincé dans un conflit de loyauté, l’enfant peut se sentir contraint de refuser une relation avec son beau-parent par peur de trahir son père ou sa mère absent. Il est nécessaire d’essayer de maintenir des relations courtoises, ce qui est le minimum à attendre de tous. Cela n’est toutefois possible que si le couple initial a réussi à résoudre ses conflits et que chacun reconnaît le rôle de tous dans l’éducation de l’enfant : soi-même, son ex et le nouveau conjoint. Le bien-être de l’enfant doit primer sur l’orgueil d’un parent ou les ressentiments d’un ex.
L’agencement de la maison
L’idéal serait que chaque enfant ait sa propre chambre ou, à défaut, qu’une chambre soit réservée aux enfants venant en visite le week-end. En réalité, les enfants sont souvent obligés de partager leur chambre. Entre très jeunes enfants, ce partage peut créer une réelle complicité. Quoi qu’il en soit, il est préférable de demander leur avis.
La condition essentielle est que chacun se sente respecté dans son espace de vie, en commençant par ceux qui résident le plus souvent dans la maison. Un simple paravent ou un rideau pour séparer une pièce peut suffire pour offrir un minimum d’intimité à chacun et pour que tout le monde se sente chez lui.
La nouvelle fratrie
Dans toutes les familles, il y a des affinités, ou pas, avec un frère ou une sœur. L’amour n’est pas une obligation. Pourquoi demander plus aux enfants des familles recomposées ? La règle d’or est le respect de chacun. En étant un parent équitable et à l’écoute de chaque enfant – surtout en cas de conflit – on créera les conditions d’une bonne entente entre eux.
L’accueil de l’enfant en visite
Il est difficile pour un enfant qui rend visite à son parent le week-end de voir ce dernier s’occuper à plein temps des enfants d’une autre personne… La jalousie est presque inévitable. Le parent doit tout mettre en œuvre pour que l’enfant ne se sente pas « superflu » ou comme un simple « visiteur ». L’enfant sera touché de voir que son arrivée est attendue et préparée. Toute la famille recomposée peut, par exemple, faire une sortie ensemble à chaque visite. Cependant, il est également important de réserver un moment d’intimité au cours du week-end. Un repas au restaurant peut devenir un rituel pour discuter de ses études, de ses loisirs, de ses préoccupations… En bref, l’enfant doit savoir qu’il est avant tout le fils ou la fille de son parent, même s’il ne partage pas leur quotidien
La naissance d’un enfant dans le couple réformé
Pour l’enfant, la venue d’un nouveau membre confirme l’union entre son parent et le partenaire de celui-ci. Cette naissance, qui renforce les liens au sein de la nouvelle famille, est généralement bien reçue. Elle apaise les enfants affectés par la désintégration de leur première famille et qui redoutent de revivre cette situation. Tous les enfants ont peur d’être délaissés au profit du nouveau-né. C’est pourquoi ils doivent pouvoir exprimer leurs craintes avant d’être rassurés. Ils peuvent alors, à leur rythme, envisager cette naissance comme un élément unique supplémentaire dans le « puzzle familial ».
L’opinion du psychanalyste
Jean-Pierre Winter, psychanalyste : « Quand une relation amoureuse naît entre les enfants » L’inceste est un sujet qui inquiète souvent les parents des familles recomposées. Que se passe-t-il si une relation amoureuse se noue entre deux frères et sœurs sans lien de sang ? Le psychanalyste Jean-Pierre Winter y répond. « Le tabou de l’inceste ne crée pas les liens biologiques ou génétiques entre les gens, mais les liens symboliques, sur lesquels toute société a besoin de se reposer pour s’organiser. Or, ce sont précisément ces liens symboliques qui se créent au sein des familles recomposées. Les transgresser, c’est donc transgresser l’interdit de l’inceste. Comment réagir face à deux adolescents d’une même « tribu » qui ont une relation ? Je ne les condamnerais pas, mais je leur dirais qu’ils se mettent dans une situation complexe : outre la réprobation sociale à laquelle ils vont se confronter (non que la société soit moralisatrice, mais elle « sent » bien que la nature des liens sur lesquels elle repose est menacée), la question de la désignation des rôles de chacun dans la famille se posera, et cela sur plusieurs générations. Car respecter l’interdit de l’inceste, c’est aussi permettre aux individus de se situer les uns par rapport aux autres, en sachant, par exemple que quand je dis « mon père », je ne désigne pas en même temps « mon oncle ».
Témoignage : « Moi, enfant de famille décomposée »
Emma, 25 ans, a vécu la dissolution de sa famille et la création d’un nouveau foyer. Qu’en retient-elle ? Principalement, des blessures psychologiques. Un témoignage sans détour. « Quand mes parents se sont séparés, j’avais 17 ans. Le monde rassurant des adultes s’est effondré. Nos parents, tantôt désemparés, tantôt hystériques, étaient désormais incapables de nous protéger. Naïvement, je pensais que le divorce serait pour eux un soulagement, une manière de tourner la page. Mais depuis, je ne les ai jamais entendus se parler sans crier. En apparence, la période post-séparation s’est plutôt bien passée. Les parents, chacun de leur côté et presque simultanément, ont rapidement retrouvé « quelqu’un ». Moi, j’étais d‘une « neutralité bienveillante », du moment qu’on me laissait en paix. Aussi, quand les nouveaux couples se sont formés, je me suis réjouie. Grave erreur de jugement. En trois mois, mon père a introduit dans sa vie une femme qui a fait le ménage dans sa maison et dans sa vie, jetant nos souvenirs d’enfance à la poubelle, changeant les serrures… Elle a commis ces maladresses impardonnables : « Sors de ma salle de bains », m’a-t-elle hurlé un jour alors qu’elle venait d’emménager quelques semaines auparavant… J’ai commencé à la mépriser ouvertement, sifflant lorsqu’elle me parlait, riant de son manque de répartie. Mon père ne réagissait pas. Sous la pression de ma belle-mère, l’accès à la maison m’a rapidement été refusé. Les week-ends chez mon père se sont espacés. Je suis restée six mois sans qu’il ne m’appelle. Puis on a recommencé à se voir, dans des cafés, des restaurants. Ma famille paternelle, qui auparavant n’avait pas réagi, a finalement découvert le vrai visage de ma belle-mère, mais il était trop tard. Je n’avais plus besoin d’eux. Ils avaient choisi de ne pas voir. Et ça, je ne pouvais leur pardonner. En même temps, ma mère a commencé à voir Patrick. Un an plus tard, ils ont emménagé ensemble. Et moi avec eux. Patrick était divorcé depuis six ans. Ses enfants, Julie, 12 ans, et Alex, 9 ans, vivaient chez leur mère et venaient un week-end sur deux. Comparé aux crises qui secouaient notre famille, le divorce de Patrick semblait plutôt réussi. Tout a changé quand ses enfants sont venus vivre chez nous. Nous sommes alors devenus une véritable famille recomposée. Et Patrick s’est transformé. Possessif et jaloux de son autorité sur ses enfants, la moindre intervention de ma mère, même sur des questions de vie commune, était considérée comme une déclaration de guerre. On ne pouvait rien leur demander : ils étaient surprotégés. C’était paradoxal : Patrick, généralement généreux et attentionné avec nous, trouvait normal de dispenser sa fille de toutes les corvées normalement attribuées aux enfants. Ou de me lancer en pleine figure : « Si tu n’es pas contente, tu n’as qu’à partir ! » Mais partir où ? J’étais chez moi… J’ai mis quelques années à réagir. Puis un jour, j’ai exigé que Patrick ne prononce plus jamais cette phrase. Il a acquiescé, un peu gêné. Preuve que le silence n’est jamais bénéfique dans une famille recomposée. Aujourd’hui, il n’y a plus d’enfants à la maison, le calme est revenu. Mon père a une nouvelle petite amie, normale cette fois. Ma mère se sent moins mal à l’aise entre Patrick et ses enfants. Même si, lorsque Julie et Alex sont là, elle ne peut toujours pas leur faire de reproches sans déclencher la colère de Patrick… Nous, les enfants du divorce et de la famille recomposée nous portons encore, malgré tout, quelques ecchymoses et cicatrices. Invisibles.
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